mercredi 9 mai 2018

Jean Marie Joseph LERAY, de la Bretagne à la Gironde

Comme beaucoup de généalogistes, mes racines sont profondément enfouies dans une seule et même région : la Bretagne. Mes ancêtres, directs ou collatéraux, sont tous d'Ille et Vilaine ou du Morbihan. Alors, quand, parfois, je tombe sur l'un d'entre eux qui a franchi les frontières de la région, je m'y attache, je fouille, et j'ai parfois la chance, comme c'est le cas ici, d'aller de découvertes en découvertes ...

Jean Marie Joseph LERAY en 1933
Jean Marie Joseph LERAY est né le 12 septembre 1849 à Noyal sur Seiche en Ille et Vilaine.
Sa mère, Jeanne Julie PICHARD, a déjà cinq enfants de son premier mari, Pierre DEZENAIRE, décédé en 1847. Leur dernier enfant, Jeanne Marie DEZENAIRE, mon arrière-arrière-grand-mère, n'est âgée que d'un an au décès de son père.
L'exploitation agricole familiale est importante, et Jeanne Julie ne peut rester seule, ce qui explique son remariage rapide avec Joseph Augustin LERAY le 24 mai 1848.
J'ai peu de détails sur l'enfance du petit Jean Marie Joseph, si ce n'est qu'il noue de solides relations avec sa demi-sœur Jeanne Marie, relations qui perdureront jusqu'à leur mort, presque neuf décennies plus tard.
Son père décède alors que Jean n'a que seize ans, le 12 juin 1866.
Jean est un garçon intelligent, pieux et travailleur, puisqu'à ses vingt ans, il est élève ecclésiastique à Rennes, au séminaire de la Place Hoche (actuellement la Bibliothèque Universitaire, où j'ai passé beaucoup de temps sous ces mêmes arcades, sans me douter que ..., bref, j'aurais dû faire de la généalogie plus tôt).

Séminaire de la Place Hoche à Rennes

Il est plutôt grand pour l'époque (1m73), les cheveux bruns, les yeux gris. 
Cependant, il lui faut interrompre ses études pour effectuer son service militaire sous le matricule 955.

Jean est affecté au 28è Régiment de Ligne le 25 août 1870.
L'Histoire vient alors infléchir le destin tout tracé de Jean, le 22 septembre 1870, il part combattre contre l'Allemagne. 
Le 2 février 1871, bien que la guerre soit officiellement terminée, Jean est fait prisonnier par les allemands vainqueurs, et emmené en captivité en Allemagne. Après deux autres guerres, très peu de sources subsistent sur cette guerre dite "la guerre oubliée". Il est donc improbable que je découvre où Jean a été détenu.
Le 20 mars 1871, il fait partie des premiers libérés. Il faut savoir que Bismarck, dont l'intérêt était de soutenir le gouvernement de Thiers, a hâté la libération des soldats prisonniers afin qu'ils puissent réprimer l'insurrection de la Commune de Paris.

A partir du 18 avril 1871, Jean, qui fait donc partie des "Versaillais", est lancé dans ces combats.
Les affrontements culminent au cours de la "semaine sanglante" : le 24 mai 1871, Jean reçoit une balle à la jambe lors des combats de La Chapelle.


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Barricade rue de la Chapelle

Puis le calme revient. Rétabli, Jean doit poursuivre son service.
Son avancement est rapide : soldat de 1è classe en mai 1872, caporal en juin 1872, sergent en septembre 1873 et sergent-fourrier en mars 1874. En octobre 1874, il est libéré du service militaire.
Les événements des dernières années ont-ils influé sur la décision de Jean de renoncer à entrer dans les ordres ? Vers quels moyens d'existence se tourne-t-il alors ? 

En 1876, il est dans la région de Rennes, puisqu'il y accomplit une période d'instruction au 41è Régiment d'Infanterie.
Il s'associe, par acte du 12 mars 1878, avec un certain Edmond-Marie TEMPLE, également originaire de Rennes. Ils sont commissionnaires en librairie d'abord 8 rue de Bretagne à Paris, puis 25 rue Guénégaud.  L'entreprise édite notamment des cartes de géographie. Une succursale est installée à Bordeaux (voilà, nous y arrivons ...).

Sa mère, Jeanne Julie, décède le 29 janvier 1879. Jean était venu à son chevet quelques jours avant, puisqu'il est présent pour déclarer le décès en mairie.
Le patrimoine familial est confortable, puisqu'après le partage entre les sept enfants, Jean hérite d'une terre située à Vern sur Seiche, estimée à dix mille francs.

Fin 1879, Edmond TEMPLE décide de tenter sa chance au Canada, c'est la fin de leur association et un rude coup pour Jean, nous le verrons plus tard.
C'est par contre une heureuse inspiration pour Edmond, puisqu'il sera successivement commerçant, professeur de dessin, responsable des écoles du soir à Montréal et directeur de l'Opéra Français de Québec. Il est l'auteur d'une méthode de dessin toujours utilisée de nos jours Outre-Atlantique.
C'est à cette époque, et, semble-t-il par l'intermédiaire de Charles BOUGOUIN, son autre associé libraire installé 121 cours d'Alsace Lorraine à Bordeaux, que Jean fait la connaissance de la jeune Izabeau PERRIN, âgée de dix-huit ans.
Izabeau (appelée en famille Héloïse, et parfois Elizabeth), née le 18 décembre 1861 à Tayac (Gironde) est déjà bien éprouvée par la vie : son père, Jean PERRIN, est décédé alors qu'elle n'a que dix ans, et sa mère, Catherine MOREAU, deux ans plus tard …
Héloïse est fille unique, ses grands-parents sont tous décédés ; elle est recueillie par la sœur de sa mère, Marguerite MOREAU et le mari de celle-ci, Jean (dit Gratien) REYREAUD.
Héloïse étant mineure, il est nécessaire qu'un conseil de famille se réunisse pour donner son accord ou non à son union avec Jean, alors âgé de trente ans.
La situation patrimoniale des futurs époux est en rapport, un peu plus de 35 000 francs chacun, soit environ 135 000 euros.

C'est ainsi que le contrat de mariage est rédigé par Maître SEVERAC, notaire à Lussac, le matin même du mariage qui a lieu le 9 avril 1880, à Tayac.

Contrat de mariage du 9 avril 1880 entre Jean LERAY et Héloïse PERRIN
Je remercie d'ailleurs vivement Annie, l'efficace et gentille bénévole, qui a bien voulu me photographier aux Archives de la Gironde le dossier LERAY-PERRIN (délibération du conseil de famille, contrat de mariage).
Jean et sa jeune épouse s'installent d'abord dans l'appartement de Jean, 25 rue Guénégaud, puis 103 rue de Vaugirard en novembre 1880 au plus tard, ces deux adresses dans le 6è arrondissement, et enfin 17 rue du Pont d'Ivry à Maisons Alfort en 1881.

Le 21 avril 1881, est prononcée la faillite de la société Edmond TEMPLE et Cie.
Pour protéger le patrimoine d'Héloïse, il faut procéder à la séparation de biens, ce qui est fait par jugement du 28 juillet 1881.
C'est à Maisons-Alfort qu'Héloïse donne naissance à leur première fille, Jeanne Julie Marguerite Marie Elisabeth LERAY, le 15 septembre 1881.
La famille LERAY retourne à Paris, Jean est alors employé comme comptable (mais j'ignore dans quelle entreprise), et leur seconde fille, Marthe Marie LERAY, naît le 25 février 1884, à leur domicile, 56 rue Daumesnil, dans le 12è arrondissement.

56 rue Daumesnil
Mais le destin frappe : Héloïse va terminer sa brève existence près des siens, à Petit Palais et Cornemps, en Gironde, et décède le 19 janvier 1889, à l'âge de vingt-sept ans, laissant derrière elle deux petites filles de 7 et 5 ans …


Pour Jean, il n'est pas envisageable de rester seul à Paris avec les deux petites, il choisit donc de s'établir définitivement en Gironde où ses filles pourront bénéficier des soins de leurs tantes, grandes-tantes et cousines.
Ses carrières de libraire et de comptable sont closes, il sera désormais viticulteur.
Jeanne et Marthe grandissent à Lapourcaud, sur la commune de Tayac.
 
Lapourcaud
Jeanne épouse le 17 septembre 1901, à Monbadon, Louis Armand BONNET. Le couple n'aura pas de descendance.
Quant à Marthe, elle épouse le 3 mai 1903, à Tayac, Pierre Léon BERTHON, un viticulteur de Puisseguin.


Deux des quatre témoins du mariage me sont bien connus, puisqu'il s'agit de mon arrière-arrière-grand-père Joseph SICOT, qui a épousé la grande soeur de Jean, Jeanne Marie DEZENAIRE, en 1872, et de leur fille, mon arrière-grand-mère, Jeanne Marie SICOT, qui a alors vingt-sept ans.

Jeanne (dite Marie) SICOT, à son mariage l'année suivant celui de sa cousine germaine.

On le voit, ni le temps, ni la distance, n'ont affaibli les liens entre Jean et sa soeur.
M'interrogeant sur la durée du voyage à cette époque entre Rennes et Bordeaux, j'ai découvert que le temps de transport est raisonnable : partant de Rennes à 17h42, il faut monter dans un train couchettes à Nantes à 22h05, et l'on arrive, frais et dispos, à Bordeaux à 6h36 !
Tel est sans doute le moyen qu'ont utilisé ces deux branches de la famille pour se voir régulièrement.

Ses deux filles mariées, Jean s'autorise à penser à lui : après tout, il n'a que 55 ans.
Comment fait-il la connaissance de sa seconde épouse, Louise Marie Augustine Bathilde de VILLIERS, voilà ce que je n'ai pas réussi à découvrir.

Bathilde, issue d'une vieille famille normande, est née le 26 novembre 1870 au Château des Planches, à Amblie (Calvados).

Château des Planches à Amblie (Calvados)
Avec sa mère et sa plus jeune soeur, elle est installée depuis plusieurs années à Abbeville (Somme), et c'est là, à l'âge de trente-six ans, qu'elle épouse Jean le 23 avril 1906.
Leur acte de mariage civil a disparu dans les destructions de la seconde guerre mondiale, mais l'archiviste du diocèse d'Amiens a bien voulu exhumer des registres leur acte de mariage religieux.
C'est ainsi que j'ai appris que le mariage avait eu lieu ... de nuit ! Si cette pratique était courante sous l'Ancien Régime, elle est tout à fait exceptionnelle au début du XXè siècle, qui plus est en milieu urbain.
Sans doute faut-il y voir un souci de discrétion, en raison de la différence d'âge et s'agissant d'un second mariage pour Jean.




Bathilde s'installe à Tayac, elle est bien acceptée par ses belles-filles, puisqu'elle est probablement la marraine de la troisième fille de Marthe, née en 1911, Alice Bathilde Emilie.

Le frère de Bathilde, René de VILLIERS, est séduit par le charme de la Gironde, et pas seulement, puisqu'il épouse en 1920 l'institutrice de Petit Palais et Cornemps ! Les deux témoins du mariage ne sont autres que Jean LERAY et son gendre, Pierre Léon BERTHON.

La vie s'écoule ainsi ; les trois petites-filles de Jean, qui l'appellent "Tanpère Pic-Pic", grandissent.

L'aînée, Aline BERTHON, se marie le 3 juin 1924, à Puisseguin, avec un médecin, futur résistant et député, Marceau DUPUY.

Jean LERAY est au premier rang, avec un chien à ses pieds, sa fille Marthe à sa droite.
Hélas, c'est ce même jour qu'Alice, âgée de treize ans, prend froid ; atteinte de tuberculose, on ne pourra pas la sauver, et elle décède le 9 mars 1925.

Le temps passe, les navettes entre Rennes et la Gironde se poursuivent : la photo ci-dessous date de 1931 environ.

Elle a été prise au Parc du Thabor, à Rennes, très probablement par mon grand-père, René BAILLEUL, fils de Marie SICOT.
De gauche à droite :
Lydie BERTHON, la seconde petite-fille de Jean, dont nous allons bientôt parler,
Jean BAILLEUL, mon grand-oncle, second fils de Marie SICOT,
Marie SICOT, mon arrière-grand-mère,
Jean LERAY, fringant malgré ses 82 ans,
Marthe LERAY, sa fille et la mère de Lydie,
Marcelle GACEL, ma grand-mère,
et ... là, mystère, est-ce Bathilde de VILLIERS ? Je n'ai aucune certitude à ce sujet, mais c'est l'hypothèse la plus probable. Si cette dame est bien Bathilde, elle est en tout cas absente sur la photo de mariage d'Aline.


Lydie se marie quant à elle le 29 avril 1933 avec un négociant en vins, installé à ... Rennes ! Hasard ou destin ? Lydie l'a-t-elle rencontré lors d'un de ses séjours à Rennes ? Ou est-ce lui qui est venu prospecter à Puisseguin ?
C'est ainsi que j'ai très bien connu "Cousine Lydie" qui habitait à quelques encâblures de chez nous.

Jean LERAY est à droite, au second rang. Bathilde (si c'est elle) est tout à droite.
Marthe est au premier rang, deuxième à partir de la droite.
Le 4 novembre 1933, la demi-soeur de Jean, mon arrière-arrière-grand-mère, Jeanne Marie DEZENAIRE décède à Rennes, à l'âge respectable de 87 ans.

JEANNE MARIE JOSEPHINE DEZENAIRE
Jeanne Marie a porté la coiffe du pays de Rennes jusqu'à la fin de sa vie. Elle est restée très présente dans la mémoire familiale, sous le sobriquet affectueux de "Mon Dieu donc !", son interjection favorite.

Jean décèdera 3 ans plus tard, à 88 ans, le 14 janvier 1938, à Petit Palais et Cornemps.
Il est inhumé dans le cimetière de Puisseguin, première tombe à gauche en entrant.

Bathilde est encore en vie. Son frère René est, lui, décédé en 1934. Une de ses soeurs, Alice (épouse VIRONCHAUX) évacuera la zone occupée au début de la guerre pour se réfugier chez sa soeur à Petit Palais et Cornemps ; elle y décèdera en 1943.
A ce jour,  je n'ai pas réussi à trouver le décès de Bathilde : nulle trace d'elle dans les registres de Petit Palais et Cornemps, ni de Tayac, ni de Puisseguin ...
Mention spéciale au passage pour les secrétaires de mairie de ces trois communes qui ont toujours répondu à mes demandes avec rapidité et efficacité, l'une d'elles me dénichant même un renseignement dont elle pensait qu'il pouvait m'intéresser, et il fût précieux !

Bathilde reste donc en grande partie une énigme ; je poursuis ma recherche de descendants de ses frère et soeurs, au cas où une photographie, un souvenir, pourraient infirmer ou confirmer mes hypothèses.

Ces allers-retours entre Bretagne et Gironde sont-ils finis ? Non, puisque la fille de Lydie, Françoise, a épousé à son tour un girondin et s'est installée là-bas ! Un très grand merci à elle et à ma cousine Anne-Laure, qui se sont prises au jeu et m'ont communiqué des photographies et des éléments décisifs.

Vous le voyez, l'histoire continue ...